Traduction de l'entrée de l'encyclopédie universitaire (4/9) :
http://plato.stanford.edu/entries/social-norms/
4. Socialisation
Dans
la théorie de l'acteur socialisé (Parsons 1951), une action
individuelle est assimilée à un choix parmi plusieurs options.
L'action humaine est comprise avec un cadre de travail utilitariste
comme orienté instrumentalement et maximisation de l'utilité. Bien
qu'une position utilitariste n'implique pas nécessairement une
vision des motivations humaines comme essentiellement égoïstes,
c'est l'interprétation de l'utilitarisme préférée adoptée par
Talcoot Parsons et une grande partie de la sociologie contemporaine.
Il devient donc crucial d'expliquer par quels mécanismes l'ordre
social et la stabilité sont atteintes dans une société qui serait
naturellement dans un état de nature hobbesien permanent. L'ordre et
la stabilité sont essentiellement des phénomènes socialement
dérivés, amenés par un système de valeurs communes – le
« ciment » de la société. Les valeurs communes d'une
société sont incarnées dans les normes qui, quand on s'y conforme,
garantissent le fonctionnement ordonné et la reproduction du système
social. Dans le cadre de travail parsonien, les normes sont
exogènes : comment un système de valeurs communes, et comment
il pourrait changer et pourquoi, sont des problèmes laissés
inexplorés. La question la plus importante est plutôt comment les
normes sont suivies, et que provoque les égoïstes rationnels à
durer grâce à elles. La réponse de la théorie de l'acteur
socialisé est que les gens adhèrent volontairement au système de
valeurs partagées parce qu'il est psychologiquement incorporé pour
former un élément constitutif de la personnalité elle-même
(Parsons 1951).
Selon les propres mots de Parsons, une norme est « une
description verbale d'une catégorie (course) concrète
d'actions […] estimée comme désirable, combinée avec
l'injonction de faire certaines futures actions conformément à
cette catégorie» (1937:75). Les normes jouent un rôle crucial dans
le choix individuel puisque – en formant les préférences et les
besoins individuels- elles servent de critère de sélection parmi
différentes options. Les normes influent les comportements parce
que, à travers un processus de socialisation qui commence à
l'enfance, elles deviennent une partie des motivations de chacun :
la conformité aux normes en place est une disposition acquise stable
qui est indépendante des conséquences du conformisme. De telles
dispositions persistantes sont formées au fil d'interactions à long
terme avec d'autres personnes importantes (habituellement les
parents) ; à travers une socialisation répétée, les
individus en viennent à apprendre et assimiler les valeurs communes
incarnées dans les normes. L’assimilation est conçue comme le
processus par lequel les gens développent un besoin ou une
motivation psychologique pour se conformer à un ensemble de normes
partagées. Si les normes sont assimilées, les comportements de
persistance de la norme (norm-abiding) seront perçus comme bons ou
appropriés, et les gens se sentiront typiquement coupable ou honteux
dans la perspective de se comporter d'une manière déviante. SI
l’assimilation est réussie, les sanctions externes ne joueront
aucun rôle pour susciter la conformité, et puisque les individus
sont motivés à se conformer, il en suit que les croyances
normatives et les actions seront cohérents.
Bien
que l'analyse de Parsons des systèmes sociaux commence avec une
théorie de l'action individuelle, il conçoit les acteurs sociaux
comme agissant selon les rôles qui définissent – à travers
l'assimilation et la socialisation – leurs propres identités et
comportements. La fin des actions individuelles est d'atteindre un
maximum de satisfaction, laquelle est définie en termes de recherche
d'approbation et d'évitement de la réprobation. En faisant le
système de valeurs communes précédent pour et contre l'acteur
social, le conflit possible entre les désirs individuels et les buts
collectifs est résolu. Le prix de cette solution est la disparition
de l'acteur individuel comme entité de base de l'analyse. Jusque là
puisque les individus sont des porteurs de rôle (role-bearers),
dans la théorie de Parsons ce sont les entités sociales qui
agissent, entités qui sont complètement détachées des actions
individuelles qui les ont créées. Cette considération forme la
base de la plupart des critiques levées contre la théorie de
l'acteur socialisé (Wrong 1961). De telles critiques sont
typiquement plutôt abstraites, car elles sont prises dans un cadre
de la controverse holisme/individualisme. Autant que l'on sache,
aucune des critiques n'a jamais essayé de contrôler si les
conclusions empiriques principales à propos du comportement qui
pouvait être tiré de la théorie de l'acteur social – en
particulier, depuis la théorie de comment une orientation normative
est acquise – sont en fait soutenus par des preuves.
La
théorie de Parsons est toujours utilisée par des sociologiques
pour expliquer les patterns récurrents
de comportements sociaux comme dus à la socialisation, qui produit
des motivations ou des dispositions à agir de la manière observée.
Étant donné l'usage explicatif largement répandu de la théorie,
on est justifié de la traiter comme un ensemble d'énoncés
empiriques testables. Il y a plusieurs déclarations comme tels que
nous pouvons inférer d'après la théorie de l'acteur socialisé, à
savoir (a) Les normes changeront très lentement et seulement à
travers une interaction social intense ; (b) les croyances
normatives sont positivement corrélés
aux actions. Si de telles croyances changent, les comportements
suivront ; (c)
Si une norme est assimilée avec succès, la conformité avec les
attentes des autres n'aura aucun effet sur le choix individuel de se
conformer.
Quelques
unes des déclarations précédentes ne sont pas soutenues par les
preuves tirées de la psychologie sociale. Par exemple, des études
de co-variation des attitudes/croyances normatives et comportement
montre qu'il pourrait ne pas y avoir de relation entre ce que les
gens disent qu'il devraient faire ou feraient, et ce qu'ils font
réellement. En général, ces études ont examiné une large classe
d'attitudes, où par « attitude » on veut dire
« sentiments évaluatif de pour et contre, favorable ou non
favorable, concernant des objets particuliers » ; les
objets peuvent être « des représentations concrètes de
choses ou d'actions, ou des concepts abstraits » (Insko et
Schopler 1967 : 361-362). Le concept d'attitude est relativement
large : il inclut les croyances normatives à propos de comment
les gens devraient se comporter dans des situations données et ce
qui compte comme comportement bon/acceptable, mais il comprend aussi
les préférences et opinions personnelles. Le présupposé
psychologique de beaucoup de ces études est que puisque les
attitudes sont des prédispositions évaluatives, elles ont des
conséquences sur la manière dont les gens agissent, spécifiquement
dans des situations sociales.
Cependant,
une série d'expériences de terrain connues, datant des années
1943, a fourni des preuves contraires aux présupposés disant que
les attitudes et les comportements sont étroitement liés. LaPiere
(1934) est célèbre pour avoir rapporté une divergence nette entre
les attitudes répandues anti-Chinois aux États-Unis et les
comportements tolérants dont il témoigna. Beaucoup d'autres études
ont pointé des incohérences entre des croyances normatives
formulées par des individus et leurs actions (Wicker 1969).
Plusieurs raisons pourraient expliquer la contradiction. Par exemple,
des études à propos de préjudices ethniques indiquent que les
croyances normatives sont plus susceptibles de déterminer un
comportement dans les relations proches et durables et moins
susceptibles de déterminer des comportements dans les situations
passagères typiques des études expérimentales (Harding 1969 ;
Gaertner et Dovidio 1986). Warner et DeFleur (1969) rapportent que si
des comportements déclarés impliquant des noirs étaient hautement
visibles pour une communauté opposée à l'intégration, des sujets
avec peu de préjugés seraient plus enclins à s'engager dans des
comportements qui maintiennent les différences de statuts sociaux
entre les blancs et les noirs plutôt que de s'engager dans des
comportements qui réduisent les différences de status. Dans cette
étude, il semble que la variable principale qui affecte le
comportement n'est pas ce qu'un individu ressent qu'il devraient
faire personnellement, mais plutôt sa croyance au sujet de ce que
« la société » (c'est-à-dire la plupart des autres
gens, son groupe de référence, etc.) dit qu'il devrait faire.
Quand les résultats des recherches des psychologues du social sur
les attitudes et les comportements sont mis ensemble, nous sommes
laissés à la faible preuve qui soutient l'affirmation que les
croyances normatives d'un individu influence ses actions. De telles
études, cependant, ne font pas de distinctions parmi les différents
types de croyances normatives, tandis qu'une différenciation
prudente pourrait aider à déterminer quelles croyances normatives –
s'il y en a – présente une corrélation positive avec le
comportement. Par exemple, quand une distinction est faite entre les
croyances normatives personnelles et les croyances normatives
sociales, cela devient apparent que seul le second groupe de
croyances est positivement relié au comportement (Fishbein 1967).
Dans les travaux empiriques sur la complaisance à la norme
(Bicchieri et Xiao 2009, Bicchieri et Chavez 2010), il apparaît que
les actions des individus paraissent plus probables avec ce qui est
compris comme des normes partagées seulement quand (a) on n'attend
pas des autres personnes qu'elles suivent les normes, et.ou (b) les
croyances normatives ne sont pas perçues comme partagées
collectivement dans la situation présente. Au contraire, quand les
individus croient que le groupe (ou la société plus large) attend
d'eux de se comporter selon un standard donné, et attend aussi que
la norme soit suivie d'une manière générale, ils l'accomplissent
habituellement. Seules les croyances normatives que les gens
perçoivent comme partagées collectivement et mises en pratique
semblent compter pour le comportement.
Notons que les études mentionnées avant présupposent que les
normes, comme les croyances à propos des comportements qui devraient
être suivis, peuvent être mesurés indépendamment de l'action en
demande aux gens de formuler leurs croyances normatives. Cette idée
son mérite, mais doit être nuancée. Pour estimer l'existence d'une
norme, il est important de demande aux personnes non seulement ce que
sont leurs croyances normatives personnelles, mais aussi ce qu'ils
estiment être les croyances normatives des autres. Il y a en effet
une différence entre les croyances normatives personnelles telle que
« Jean croit qu'il doit partager la monnaie de manière
égale », et les attentes normatives, telle que « Jean
croit que les autres pensent qu'il doit partager la monnaie de
manière égale et doivent le punir s'il ne le fait pas ».
C'est seulement quand nous observons une convergence répandue des
attentes normatives que nous pouvons dire qu'une norme est en place
(Bicchieri et Chavez 2010). Mais le fait qu'une norme existe ne veut
pas dire qu'elle sera suivie. Les attentes normatives, en soi, ne
sont pas suffisantes pour induire une complaisance. Si l'on observe
des transgressions répandues, la force des attentes normatives sera
grandement diminuée, comme le démontre la preuve empirique
(Bicchieri et Xiao 2009). Pour être efficaces, les attentes
normatives doivent être accompagnées de la croyance que la plupart
des gens obéirons de fait à la norme. Il y a une considérable
preuve empirique selon laquelle les individus préfèrent se
conformer à une norme à condition que les deux attentes, empiriques
et normatives, soient rencontrées (Bicchieri 2006).
Ce que nous venons de dire représente une critique importante de
la vision de la socialisation. Si les normes affectaient directement
le comportements, comme Parsons le pensait, nous devrions observer
une forte corrélation entre tous types
de croyances normatives et le comportement, indépendamment de savoir
si l'on attend des autres membres du groupe de se conformer ou si la
norme est perçue comme partagée collectivement. Selon Parsons, une
fois que la norme est assimilée les gens sont motivés à s'y
conformer par un système de sanctions
interne, quel que soient les conséquences qu'un comportement
conforme pourrait provoquer. Cependant, nous observons seulement une
corrélation
entre les choix des gens et (a) ce qu'ils pensent que les autres
personnes pensent qu'il faut faire (attentes normatives) et (b) ce
qu'ils attendent que les autres personnes fassent dans la même
situation (attentes empiriques). En d'autres mots, une évaluation
verbale des croyances normatives personnelles d'un individu a peu de
valeur prédictive concernant ses choix. C'est seulement quand les
croyances normatives personnelles coïncident avec ce qu'on pense que
les autres feront et croient
qu'il faudrait faire que nous avons une forte corrélation avec les
choix réels.
Une autre interprétation des normes
parsoniennes est, cependant, possible. On ne peut pas nier qu'il
existe des normes que notre société a incorporées au point qu'il
n'y ait pratiquement pas de différence dans les comportements
induits par les normes. De telles normes sont typiquement
proscriptives, et il est probable que comme telles elles peuvent être
reliées avec un comportement observable. Par exemple, une norme
contre le meurtre de quelqu'un qui marche sur le pied d'un autre dans
un bus bondé n'est jamais observé précisément parce que les gens
ne s'engagent habituellement pas dans cette sorte de comportement. De
plus, un tel comportement n'est pas non plus conçu comme une option,
et la seule idée de cela engendrerait des sentiments d'angoisse et
de culpabilité pour la plupart de nous. Les normes parsoniennes sont
incorporées au point que leur existence peut être obtenue seulement
quand la norme est violée, et la conformité à de telles normes est
clairement inconditionnelle. Dans ce sens, de telles normes semblent
coïncider avec des normes morales, jusque là comme nous comprenons
les normes morales comme des impératifs inconditionnels incorporés.
Les normes sociales au contraire sont conditionnelles, et la
complaisance dépend de manière décisive sur le fait d'avoir la
bonne sorte d'attentes dans la situation appropriée.
Une autre indication que la théorie de la socialisation manque de
généralité est l'observation que les normes peuvent changer plutôt
rapidement, et que les nouvelles normes émergent souvent dans une
courte période de temps parmi des étrangers complets (Mackie 1996).
L'interaction à long terme, intensive et proche ne semble pas être
nécessaire pour une personne pour acquérir une disposition
normative donnée, comme il en témoigne l'aisance relative avec
laquelle les individus apprennent les nouvelles normes quand ils
changent de status ou de groupes sociaux (c'est-à-dire, de
célibataire à marié, de lycéen à étudiant, etc.). De plus, les
études de l'émergence sociale et politique des groupes montre que
dans de tels groupes de nouvelles normes se forment plutôt
rapidement et que la disparition des vieux modèles de comportement
est souvent soudaine et inattendue. Les études aussi disparates que
l'analyse du support d'interdiction (Robinson 1932), l''intégration
raciale (O'Gorman 1986), la révolution sexuelle dans les années
1960 (Klassen et cie. 1989), la consommation d'alcool sur les campus
(Prentice et Miller 1993) et le comportement des membres de gangs
(Matza 1964) prêtent toutes une crédibilité au modèle de normes
fondé sur les attentes empiriques et normatives des individus de ce
que les autres feront et croient qu'il devrait être fait. Une fois
que ces attentes ne sont plus satisfaites, la norme décroît
rapidement (Mackie 1996 ; Bicchieri 1999, 2006). On est forcé
de conclure qu'il y a un peu de support empirique pour la théorie de
l'acteur socialisé et la vision des normes sociales qui
l'accompagne, au moins si nous la tenons pour une théorie générale,
englobante des normes.